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Old Meme Archive : pourquoi la mèmestalgie cartonne

Souvenez-vous. Nous sommes entre 2007 et 2011, sur Facebook, Reddit ou 9Gag. Les mèmes s’appellent NyanCat ou encore Bad Luck Bryan et vous venez de vous faire rickrolled par votre ami sur Windows Live Messenger. A l’époque, la culture Internet est très peu connue du grand public : Nathanael de Rincquesen parle sur France 2 de…

Souvenez-vous. Nous sommes entre 2007 et 2011, sur Facebook, Reddit ou 9Gag. Les mèmes s’appellent NyanCat ou encore Bad Luck Bryan et vous venez de vous faire rickrolled par votre ami sur Windows Live Messenger. A l’époque, la culture Internet est très peu connue du grand public : Nathanael de Rincquesen parle sur France 2 de meuporg (pour parler des MMORPG) et les gamers sont sommés de se trouver un vrai métier. C’est ce passé pas si lointain que le compte Twitter Old Meme Archive (527,9k followers) a décidé d’exhumer. Le compte y fait la part belle aux trollfaces, du nom de ces petits personnages dépareillés, légendés en police Impact, qui peuplent les Internets dans les années 2000 et 2010. 

Sur le web, tout passe plus vite : les modes, tout comme les retours nostalgiques de modes anciennes. La retrowave n’aura pas tardé, et d’ailleurs le groupe We Pretend it’s 2007-2012 Internet émerge dès décembre 2017 sur Facebook. On le voit, les strates temporelles de la culture internet se voient intégrées par les internautes, qui n’hésitent pas à porter un regard de quasi-historien sur leurs pratiques, allant puiser leurs matériaux directement dans leurs propres archives, ou en allant piocher dans de vieux forums. 

Cet Internet d’autrefois est particulièrement anonyme, l’insulte et la moquerie s’y font par pseudos interposés. Ainsi, les réflexions sur la “vie derrière les mèmes” n’avaient pas cours. Au sein du web francophone, c’est à partir de l’émission What the cut d’Antoine Daniel que les réflexions sur le fait qu’il y a de vraies personnes derrière les vidéos virales commencent à émerger. 

Il y avait dans ces mèmes mal dessinés une forme d’autodérision typique de l’époque“, analyse Titiou Lecoq, autrice en 2011 d’une Encyclopédie de la Web culture (Robert Laffont).

Ces personnages volontairement kitsch évoluent dans une sphère à part. De fait, personne ne se posait la question de savoir qui étaient à l’origine des templates, et d’ailleurs la plupart d’entre eux étaient des dessins sous forme de stéréotypes (des gamers, des dinosaures ou encore des personnages de séries télé). La culture web n’avait pas encore été rattrapée par le réel, explique Titiou Lecoq. 

Le monde occidental baigne alors dans une sorte de fin de l’histoire, sans guerre ni attentats, où il est de bon ton d’être le plus trash possible, “pour pallier un quotidien ennuyeux“, continue la spécialiste du web de cette période :

Pour bien resituer le contexte, c’était une époque où lorsqu’on discutait avec quelqu’un qui faisait des blagues antisémites, on ne pensait pas avoir à faire à un véritable antisémite derrière son écran“. 

Les blagues potaches servent à frayer avec la frontière du bon goût et de l’insolence. Le mème est perçu comme un élément neutre, un template en attente qu’on lui insuffle du sens. 

Personne ne se doute alors que les mèmes, comme tous les objets sociaux, sont des véhicules idéologiques comme les autres. Le GamerGate, en 2014, puis l’émergence de Pepe The Frog, la grenouille trumpienne des élections américaines de 2016, feront prendre conscience du caractère pas si inoffensif de nos images et de nos comportements en ligne. Ces deux éléments tracent une rupture nette : dès lors, impossible de ne pas voir les effets performatifs de la culture web. C’est la fin d’une parenthèse enchantée, mais le début d’une remise en cause nécessaire de la façon dont se construit et se déploie l’humour numérique. 

Cette rupture va de pair avec le développement de la mercantilisation de cette frange du web. L’inventeur de la trollface dépose sa création, les copyrights pleuvent. Et tout de suite les critiques s’élèvent contre ce qui s’apparente à un non-respect de l’anonymat, consubstantiel à “cette culture de la réécriture permanente, collective et anonyme“, note Titiou Lecoq, en ajoutant :

Déposer une marque, cela revenait à rompre le contrat de confiance. Il n’y avait pas de nom en-dessous des images, on ne voulait pas devenir célèbre sur Internet. Chacun venait apporter sa pierre à l’édifice“.

Ce que donne à voir le compte Old Meme Archive, c’est cette petite capsule temporelle nostalgique, ce simulacre d’art naïf, dans un monde pas encore englouti par les GAFAM, et pas encore régulé par les États. Un âge d’or, ou plutôt une sensation d’âge d’or. 

Que nous reste-t-il de cette culture ? Un idéal de créativité à atteindre, et des formats de templates devenus peu à peu l’ossature de l’humour en ligne. 

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