Pour la quatrième année consécutive, la fondation Mozilla propose un guide utile pour s’y retrouver dans les objets connectés susceptibles d’être offerts à Noël, en pointant ceux qui comportent des risques de non-respect de la vie privée des utilisateurs.
C’est un spot bref et animé, à base d’emojis colorés sur fond de reprise d’un célèbre chant de Noël. Publiée sur YouTube fin novembre, la vidéo ci-dessous est clairement taillée pour les fêtes, mais pas forcément pour inciter à la consommation : plutôt à la prudence.
Voici une traduction de sa voix-off : “En matière de cadeau connecté, d’importantes questions se posent. Par exemple : est-ce qu’il dispose d’une politique de protection de la vie privée ? Comment stocke-t-il les données ? Est-ce qu’il sait que j’ai écouté 25 fois hier soir “Last Christmas” [de Wham] ? Nom d’un petit Père Noël, est-ce qu’il est en train de m’observer en ce moment même ?! Pour les fêtes, Mozilla a ce qu’il vous faut pour savoir si votre cadeau est cool ou flippant”.
Ce spot promeut le site Privacy Not Included (version française ici), nom choisi en référence à l’avertissement sur les piles ou batteries parfois absentes des produits déposés sous le sapin, mais indispensables à leur fonctionnement. Ce “guide d’achat pour objets connectés sûrs et sécurisés” est une initiative de la fondation Mozilla bien connue de la communauté du logiciel libre, et à qui l’on doit notamment le navigateur web Firefox.
136 objets recensés
Depuis quatre ans, Mozilla renouvelle ce guide pour alerter sur les dangers potentiels de certains gadgets connectés. “La connectivité des appareils suscite des préoccupations liées à la vie privée, rappelle des histoires d’espionnage par des entreprises ou des gouvernements, ainsi que de récoltes de données non sollicitées. Et vous n’avez pas envie d’avoir la responsabilité d’apporter tout ça dans la demeure de quelqu’un, non ? Puisque ces cadeaux pourraient débarquer dans le salon ou la chambre ou sur les poignets de quelqu’un pendant des mois, voire des années, le choix de tel achat ne devrait pas être pris à la légère”, résume le journaliste spécialisé Stephen Moore sur le Medium Debugger pour justifier une telle initiative.
Les gadgets auscultés par le site sont classés par gradation en matière de “flippant” (creepy), de l’inoffensif au très risqué, et catégorisés en fonction de leur usage (domotique, jeux et jouets, animaux de compagnie, vêtement connectés, bureautique, divertissement, etc.).

A l’heure où cet article est publié, 136 objets sont recensés sur Privacy Not Included mais les internautes peuvent suggérer des articles manquants à vérifier, le site étant régulièrement mis à jour. Ils sont également encouragés à évaluer leur creepiness.

La flippante sonnette connectée d’Amazon
Au rayon des produits de marques reconnues jugés “très flippants”, on peut citer Ring, la “sonnette connectée” d’Amazon. “Avec Ring Video Doorbell 3, voyez et entendez toute personne se trouvant sur le pas de votre porte, et parlez-lui où que vous soyez. Recevez des notifications instantanées lorsqu’un visiteur appuie sur le bouton de votre sonnette ou déclenche les détecteurs de mouvements”, vante le célèbre site de e-commerce. Privacy Not Included rappelle pour sa part que, même si des efforts ont été faits ces derniers mois pour corriger certaines défaillances (notamment l’abandon de la reconnaissance faciale soupçonnée de biais racistes), Ring suscite encore des inquiétudes, notamment par sa relation aux forces de l’ordre outre-Atlantique. “Ring donne aux autorités un accès aux vidéos capturées via sa caméra à travers son Neighbors Public Safety Service (NPSS)”, soit le service de sécurité publique entre voisins, rappelle Privacy Not Included.
Début octobre, le reportage ci-dessous de Bloomberg évoquait ainsi “comment Ring d’Amazon a contribué un réseau de surveillance policière” :
Début novembre, le maire de Jackson, une ville du Mississippi, demandait même à ses concitoyens de connecter leurs “sonnettes intelligentes” à un centre de surveillance en temps réel afin de lutter contre le crime. Selon la BBC, “le maire a annoncé que les flux vidéo ne seraient observés que si un crime était commis dans la zone”, provoquant une levée de bouclier d’associations pour le respect de la vie privée. Amazon avait alors précisé qu’il n’était pas partenaire d’une telle initiative. Après un été marqué par une défiance extrême à l’égard des forces de l’ordre suite à la mort de George Floyd tué par un policier, Amazon se retrouve dans une position d’équilibriste, partagé entre ses liens réels avec la police et son image progressiste pro mouvement Black Lives Matter.
Facebook, cet “usual suspect”
Outre la sonnette-caméra d’Amazon, Privacy Not Included n’est pas tendre avec un produit plus que d’actualité en cette année de distanciation sociale généralisée : la gamme de produits Portal, par Facebook, utilisés pour des conversations vidéos grâce à “une caméra utilisant l’intelligence artificielle pour suivre à la trace vos moindres mouvements, avec un microphone basée sur la technologie Alexa [l’assitant vocal d’Amazon] écoutant en permanence ce qui est dit dans votre maison”. Rassurant ! Et Facebook ne lésine pas sur la promotion en cette période de fin d’année, en adaptant à divers marchés sa communication. En France, Eric Judor et Ramzy Bedia “incarnent” la marque dans une série de spots décalés :
Même si Privacy Not Included salue le fait que les appels via Portal sont chiffrés (une manière sécurisée de communiquer empêchant théoriquement les écoutes par un tiers), le site rappelle le passif peu glorieux de Facebook en matière de respect de la vie privée. “Facebook déclare qu’aucune parole prononcée dans un appel via Portal ne peut être utilisée pour de la publicité ciblée, mais les données sur vos usages de Portel -votre fréquence d’appels, les applications utilisées, etc.- peuvent être utilisées pour des publicités ciblées sur Facebook”, précise le site.
Incitation dès le berceau
Au-delà des caractéristiques concernant tel ou tel produit, l’initiative Privacy Not Included a le mérite de rappeler à quel point “l’Internet des objets” rime avec “menaces sur la vie privée”. Une mission loin d’être inutile en cette période de fêtes qui voient même les plus petits, dès l’âge de 9 mois, être conditionnés à accepter la présence d’assistants vocaux dans leur foyer, à l’image de ce produit Fisher Price croisé en magasin par un internaute :
Certes, ce “Premier Assistant Vocal” est un jouet d’éveil fonctionnant sans connexion à Internet. Mais ce “moyen amusant d’occuper les petits moulins à paroles en leur offrant des activités interactives passionnantes”, comme le vante son fabricant, n’en reste pas moins une incitation précoce à l’usage de technologie intrusive, désormais normalisée dès le plus jeune âge.